dimanche, 25 février 2007
Trancher dans le réel… (Frédéric Lefeuvre)
L'odeur du granit
Territoires intimes d'Armorique
Le photographe tranche dans le réel, communément on dit qu'il écrit avec la lumière. Derrière la toile des apparences que capte la rétine, avant que les dés ne soient jetés, il a le pouvoir d'offrir une face visible au vécu intime des choses.
Je construis des images en passant, en passeur si possible, tout en laissant disponible ma pensée, et en pansant les plaies du temps à partir d'une géographie intérieure et muette. Aucune chapelle esthétique ne se cache derrière elles. Elles se veulent l'union d'une rencontre et d'une émotion. De celle qui est marquée par une quête de l'insaisissable.
Tout d'abord, au niveau de l'acte de prise de vue, mon cheminement se nourrit d'histoires anciennes et de la vibration des lieux ; c'est une forme de photographie contemplative à l'écoute des silences et des signes de ce qui « a été ». On fait toujours les mêmes photographies, on marche toujours vers le même horizon, on creuse toujours le même trou pour faire naître toujours plus d'apparitions. Il faut toujours chercher ce qui est derrière le cadre assassin du photographe.
Ce qui m'émeut, c'est le contact direct de la main avec les fibres du papier bromure qui révèle le négatif exposé par la chambre noire. Je procède avec des produits actifs par tamponnage, par caresses et par glissements successifs d'arabesques sur le support baryté. Les vapeurs murmurent avec le hasard. Parfois l'émulsion dégage des saveurs délétères, elle fume, elle brûle, elle irrupte des ombres sorties de mes mirages ; ce qui doit « être » depuis mes chaudrons infernaux, persistera et existera.
Dans mes paysages de Bretagne, j'espère renouer avec l'authenticité et la beauté d'un territoire qui souffre d'un déficit esthétique dans sa perception. Je recherche le lien, puis l'empreinte. La pensée ne se détruit pas, elle remonte toujours le puits du temps. C'est tout le contraire d'un système : le mode opératoire est aléatoire et détaché de la technique ; le but est de se perdre en chemin, de se mettre en danger parmi une mosaïque de paysages et de nouvelles frontières.
En fait, j'opère en utilisant une forme d'écriture automatique portée par une sensibilité en rupture. C'est une histoire de respiration et de fenêtres ouvertes sur une ballade poétique. Ma démarche est une œuvre de « déconstruction » des images telles que la société les conçoit. Notre regard est devenu économique et sous contrôle. Aussi, il m'importe plus que jamais de maintenir mes désirs photographiques dans la magie et le souffle si vulnérable de la vie.
Frédéric Lefeuvre
Février 2007
Le texte et la photo proviennent du dernier livre d'artiste de Frédéric Lefeuvre qui date de février 2007,
à travers sa collection : Les Editions du Chêne Rouge limitées à 12 Tomes de 12 exemplaires.
Le dernier livret paru à ce jour est le N°9 qui se nomme : L'odeur du granit en référence aux émotions
que l'on éprouve parmi les chemins creux de Bretagne,
la rencontre du minéral, de la nature et du vent.
18:25 Écrit par kl loth dans en revenant de l'expo (de la conf. etc.), rôle et place de l'art | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : frédéric lefeuvre, photographie, art |
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