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lundi, 14 mai 2007

À propos des carnets

Dans la période contemporaine, les Carnets sont l'objet d'une mutation voisine de celle du Journal, et influent de même sur le reste de la littérature. La notion, désormais littéraire, est restée attachée à son origine matérielle, qui en détermine la plasticité : aucune régularité quotidienne de la notation, la reprise ultérieure des notes seule donnera le statut de texte littéraire à ce que l'écrivain choisit de retenir. Car le Carnet n'est pas fait pour être livré tel quel : Julien Gracq essaie, dans Carnets du grand chemin (1992), de "grouper des notes essentiellement disparates par familles, pour communiquer quelque ordre à leur lecture" et reconnaît "que ces notes ne s'arrangent qu'assez mal de compartiments. Il est vrai que leur nature même tend à les prémunir de tout ordre. […] Cette "marginalité" du Carnet pourrait en faire un objet secondaire, recueil de notes à des fins personnelles. Mais cet accompagnement de tous les instants, cette proximité quasi physique l'élève au statut d'objet fétiche, parfois ritualisé, dont la période contemporaine reconnaît l'importance.
[…] C'est une manière de retrouver l'autobiographie là où on ne l'attend pas […] On sait où Ponge se trouve, quel temps il fait, quel livre il consulte : les carnets dessinent peu à peu une véritable autobiographie de l'œuvre. Journal et Carnet se font atelier permanent d'écriture. […] 
 Sartre écrivait autrefois, d'une formule définitive, "toute conscience est conscience de quelque chose : le Carnet est ce recueil de la conscience. Aussi est-il, plus peut être que le Journal qui tend à "raconter", à "commenter" ce dont il parle, le matériau brut ce ce qui est venu à la pensée "tel quel", comme eut pu écrire Valéry. Mélange de pensées éparses, notes de lectures, fulgurances poétiques… tout s'y mêle, et ce mélange-là dessine un homme. Le Carnet se situe donc à la frontière de l'intime et de l'extime : il n'est pas un ensemble dont l'objet serait le "moi", lequel n'y est que le réceptacle du monde. Aussi est-il pratiqué par des écrivains très réservés envers toute forme d'écriture autobiographique […].
Ces recueils de notes sont chargés de lectures. [exemples de carnets] ne cessent d'évoquer des livres décisifs, qui chacun à leur tour nourrissent les œuvres des écrivains […] il n'est écrivain qui ne soit aussi lecteur, toute œuvre s'écrit d'abord avec d'autres œuvres, dont elle s'alimente. L'intertextualité souvent latente des grands textes de la littérature apparaît à notre époque beaucoup plus patente. […] Alors que la  modernité se posait plus volontiers comme "esthétique de la rupture", le contemporain, au contraire, s'affiche comme un temps de la reliaison. Le Carnet aura été une école de reconnaissance et de salutation.
[…]
Ces recueils de notes et de fragments, inspirés par le spectacle de la nature, aussi bien que par les œuvres de la culture […], sont destinés à ensemencer l'œuvre à venir autant qu'à nourrir la vie de qui les rassemble. C'est en quoi, peut être, elle s'opposent au Journal, car le Journal vaut par lui-même : il est la mémoire des jours. Alors que le carnet est un dépôt d'avenir.
[…] Le carnet ne fait pas œuvre, il conserve une certaine modestie. 
[…]
Un autre lieu en revanche ouvre un espace inédit au Journal et au Carnet : la liberté du réseau internet est l'une des voies dans lesquelles l'écriture de soi, tournée paradoxalement vers la communication avec autrui, trouve un champ encore difficile à imaginer. […] Le texte de l'écrivain s'y dissout parmi tant d'autres, qui n'ont que peu à voir avec la littérature. Mais cela n'est-il pas le lot de toute écriture de soi, notes, journal ou autobiographie ? […]
 
(Dominique Viart, Bruno Vercier, La Littérature française au présent. Héritage, modernité, mutations, Bordas, 2006, pp. 68-75) 
 
Un extrait particulièrement long, je l'avoue, d'un livre fondamental sur la littérature récente. Différents aspects de la forme "Carnet" y sont abordés, souvent en convergence avec ce qui se joue ici, sur ce blog.
Reste à aborder la question du carnet de croquis de l'artiste plasticien…
 
Très intéressante aussi est la question de l'intertextualité. Retour des choses : j'insère justement ce passage dans mes propres notes ! Petite mise en abyme…

15:35 Écrit par kl loth dans au fil des lectures | Lien permanent | Commentaires (0) |

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