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mardi, 07 octobre 2008

Le pays qui n'existe plus (l'Allemagne de l'Est)

À l'occasion du passage sur Arte du film La Vie des autres (cf. chroniqué sur Arte, et par eelsolivier), je republie l'éditorial de la revue Cahiers de Leçons de Choses, que Patrick Beurard-Valdoye et moi-même avons rédigé à l'issue d'un séjour d'un mois en Allemagne de l'Est en 1980.

Le titre "Mais allez donc y voir vous-mêmes" fait allusion à méconnaissance et à la désinformation à cette époque concernant les pays de l'Est, une incitation tout simplement à aller voir…

La mise en page du texte est élaborée, avec différents caractères typographiques et illustrations, cf. le fac-similé.

(La Vie des autres, Florian Henckel Von Donnersmarck, Allemagne, 2006, diffusé le 28/09/08 sur Arte)


DDR-19.jpg
(vu sur une plage de l'Île Rügen, août 1980)

MAIS ALLEZ DONC Y VOIR VOUS-MÊMES

L’image de cet animal ambigu aux aspects d’insecte (les insectes, toujours inquiétants) qui s’emploie à franchir un monticule de sable, six pattes et deux antennes expression de survie, l’animal noir désespérément inadapté au merveilleux sable fin qui coule sous ses pattes postérieures et s’affale sur les antérieures.

Un rat — mort — sur la première marche du grand escalier de la belle gare de Leipzig. Dans le coin.
Discret.

(Sur la plage) Les autorités ont voulu placer des unités de la flotte militaire à intervalle régulier sur la Baltique sans doute afin que les Saxons puissent de leurs jumelles fantasmer sur l’horizon adverse. À l’Est le communisme s’est annoncé en libérateur du nazisme tandis qu’à l’Ouest, on se tue à redire que le nazisme est fini, exterminé. La barbarie est morte, sa renaissance pour bientôt. Mais le nazisme lui, puisait ses racines en réaction au romantisme. Et comme rien n’a été proposé sauf d’un point de vue matériel (rationnel), une part de l’esprit allemand s’est retournée à sa vieille nostalgie, surtout en D.D.R. : le romantisme.

Matin morose blanc exténué
Trop tôt
Stature d’homme dépassant la foule d’enfants
Gigantesque
Il appelle les noms — un à un. Rythme inéluctable de la liste
… Andreas… Andreas
Les groupes se forment
s’éparpillent dans le camp
Selon le plan.

Paradoxalement le ministère de la culture sélectionne également des films idiots américains sentimentiques et romantaux de la bagnole luxe et de la 1000 cm3 tout simplement parce que le ministère fournit à ses moutons un cinéma qui leur provoque des fantasmes profonds, et ceci pas par souci d’une hygiène mentale du citoyen, mais par volonté de rentabiliser l’affaire : un film américain coûte tant de devises.

Lorsqu’on débarque à l’« Est », on commence par établir la litanie des différences. Le touriste moyen est supposé en rester là. Dans un second temps lié à davantage de recul, le citoyen un peu moins capitalisé entreprend une série de parallèles. Son analyse devient critique quant aux deux systèmes. Les analogies — une litanie également — satisfont à sa recherche critique. Il s’agissait une fois pour toutes de se situer ailleurs ; le quotidien de l’individu ne se trouve pas dans une comparaison ou une différentiation des systèmes. Accéder enfin à un mode de connaissance plus intelligent.

« Die Männerchör drink Bier von Faß
Die Männerchör drink Bier von Faß
Besofen
Besofen
Besofen sind schon vier von Bass... »

La foule des enfants en plein recueillement sur les quatre côtés de la place.
L’appel — solennel —
L’homme (le même) : — Freundschaft !
Répons du chœur — comme un écho — Freundschaft ! — Freundschaft !

Dans ce collectivisme, soirée à la bière où l’on chante jusqu’à l’écroulement, vieille résurgence de l’esprit des communautés Sagas, l’individu, seul, immensément seul. Bier, Bier ist die Seele von Klavier.

Quatre punis devant la foule
l’homme appelle leurs noms
ils se détachent du groupe
s’avancent muets mécaniques
On les a surpris la nuit
Opprobre et châtiment.

La D.D.R., terre promise de l’art brut : il n’y a qu’à voir sur les plages les innombrables pratiques des enfants et des adultes qui font de l’art et qui n’auraient pas l’idée d’appeler cela ainsi.
(châteaux de sable, entreprises élaborées, agencements de pierre formant édifices, peinture sur pierre etc. Rien de comparable sur les plages méditerranéennes).

BLEU JAUNE
Pigments en poudre étalés sur le corps
Quand le cortège du dieu Neptune sort de l’eau — sauvages peinturlurés et belles jeunes filles — c’est pour punir
Juger et punir
Tomates, liquides acidulés œufs glaireux glissant le long des corps désignés à l’opprobre (on s’est bien gardé cependant de dénoncer les étrangers soyons prudents)
Un bain obligatoire dans l’eau salée froide.

Un fantasme allemand, un modèle de l’Allemand : Julien Sorel.

Le romantisme allemand, mixture mal dosée de rationalisme fou et de son antagonisme, l’aspiration à l’irrationnel.
La créature de raison en quête d’inconscient. Le symbolisme au service du rationnel et la raison pour aller plus loin dans la mystique.

Une femme nue debout droite fière au bord de la plage
tournant le dos à la mer à l’horizon au décor changeant des nuages
Elle est énorme — amoncellement de bourrelets gras —
l’authentique Vénus préhistorique
Son homme, tendrement, la prend en photo.

Le nazisme : un certain mysticisme aux mains du rationalisme fou ou bien la logique qui conduit à un certain mysticisme fou. L’alliage de logique et de mythe.

Weimar : Schiller, Goethe, Liszt. À cinq kilomètres de là, Buchenwald. L’allégorie allemande.
Autre interprétation : le nazisme n’est pas réaction mais continuité du romantisme. L’Allemand n’est pas retourné à sa vieille nostalgie, il n’a en fait jamais cessé d’être préoccupé par l’immatériel. L’âme germanique existe, le romantisme en était une illustration.
« Quelque chose dans la clarté tourmentée de l’île Rügen ».

Notes en alternance de C. LOTH et P. BEURARD(-VALDOYE)
Cahiers de Leçons de Choses n° 3, 1er trimestre 1981


À consulter également sur le site kl-loth.com, ainsi que plusieurs pages de photos prises durant ce séjour :
1 - Quel pays ?
2 - Villes, Leipzig, Dresde
3 - L'île Rügen

Commentaires

Merci de me citer!
C'est vraiment sympa!
Le film est passé cette semaine sur arté, mais j'avais eu la chance de découvrir ce film au ciné!
Je te conseille d'acheter le dvd, si ce n'est déjà fait!
Ds les bonus, tu pourras voir un documentaire de 20 minutes sur la stasi.
Pr produire ce film, le réalisateur a effectué un travail de 4 ans.
Ensuite, quelques mois après la fin du tournage, l'acteur principal (Mühe) est décédé...
Une note dramatique pr un superbe film qui n'en avait pas besoin...

Écrit par : eeeelsoliver | mercredi, 08 octobre 2008

faudrait expliquer, à propos de la photo que "niemands" ne veut pas forcément dire "nudiste". La plage est nue, on se demande?

Écrit par : michel jeannes | jeudi, 09 octobre 2008

Alors j'explique :
"Niemands Land" se traduit en français (!) par "no man's land".
Et les plages de nudistes, ou plutôt naturistes, très fréquentes en Allemagne, sont indiquées par des panneaux "FKK", pour "Freikörperkultur" (culture du corps libre).
Il y a aussi des espaces verts autorisés au naturisme en plein Berlin, ouest en tout cas.

Pour ceux qui comprennent l'allemand :
http://de.wikipedia.org/wiki/FKK

Écrit par : kl loth | jeudi, 09 octobre 2008

Merci pour cet article passionant, merci d'avoir établi un lien entre le romantisme allemand et la dérive aisée qui se fît à travers elle. Jean-Paul, Schlegel, Goethe, Lenz, Novalis, Schiller voulurent créer une littérature à caractère national voire nationaliste, c'est ce que ramenèrent les Constant et autre Madame de Staël de leur voyage en Allemagne.

J'ai une affection particulière pour l'écrivain Buchner, républicain dans l'âme, révolté.

Merci encore pour ce texte et pour cette prose.

Écrit par : Léopold | jeudi, 09 octobre 2008

La mise en perspective historique et littéraire est due dans ce texte à mon ex-collègue d'écriture. J'ai pour ma part plutôt rédigé les parties à caractère descriptif.
Mais ce texte a été fait il y a si longtemps que je n'ai pas de certitude absolue qui me permettrait d'isoler mes contributions…
Vorbei…

Écrit par : kl loth | jeudi, 09 octobre 2008

Merci eeeelsoliver pour ces précisions supplémentaires.
Tu as bien raison de dire que ce film mérite l'achat du DVD.

Je recommande à propos de la Stasi, mais plus généralement de la question de la surveillance étatique, l'édifiant documentaire d'Eyal Sivan et Audrey Mauron, "Pour l'amour du peuple", paru en 2004, et basé sur le récit "Pour l'amour du peuple : Un officier de la Stasi parle", texte commenté par Alexandre Adler, Albin Michel, 2000.
http://www.arte.tv/fr/mouvement-de-cinema/actu-cinema/Films-de-A-a-Z/Films-de-A-a-Z/832466.html

À noter qu'on retrouve l'un des acteurs du film "La Vie des autres, Ulrich Tukur, dans le film "Séraphine" de Martin Provost, qui vient de sortir.

Écrit par : kl loth | jeudi, 09 octobre 2008

oui Ulrich Tukur joue ds séraphine. A noter également sa superbe prestation dans "AMEN".
Un film que tu pourras voir sur mon blog ds catégorie drame historique.

Écrit par : eeeelsoliver | jeudi, 09 octobre 2008

donc, si j'ai bien compris, il n'y a personne sur cette plage naturiste! (Natürlich!)
Allez savoir si une plage déserte l'est vraiment et ce que les nudistes cachent sous leur peau! ça vaut le coup de surveiller. La surveillance extatique est toujours payante.

Écrit par : michel.jeannès | jeudi, 09 octobre 2008

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