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dimanche, 27 janvier 2008

Survie (Julien Gracq)

"De la survie des ouvrages littéraires. L'œuvre d'un écrivain, passé l'ère classique, s'installe de moins en moins dans la durée comme un absolu, de plus en plus comme un étai temporaire et un garant, qu'on réactive occasionnellement pour les besoins de l'« idéologie dominante » ou de la technique littéraire du jour. Ce que nous appelons immortalité n'est le plus souvent qu'une continuité minimale d'existence en bibliothèque, capable d'être remobilisée par moments, pour cautionner la mode ou l'humeur littéraire du temps."
 
(Julien Gracq, Carnets du grand chemin, José Corti, 1992, éd. consultée 2003, p. 245)
 
Une citation qui entre en interaction avec cette autre, sur le temps que mettent les textes à nous rencontrer…
Eh oui, l'importance du contenu de certains livres est en butte à la rotation rapide des marchandises, que ce soit à l'étal, où dans les esprits !
 
Et à propos du choix que nous faisons de nos lectures, une autre citation aux métaphores savoureuses : celle de l'ange gardien, celle qui évoque les "phéromones" de l'attraction sexuelle : 
 
"L'ange gardien de nos lectures, si grand, si expéditif économiseur de notre temps. Celui qui, devant un compte rendu enthousiaste, un titre qu'on nous vante, un livre qu'on hésite à acheter, nous souffle à l'oreille, gentiment, décisivement, toujours obéi : "Non. Pas celui-là ! Laisse. Celui-là n'est pas de ton ressort. Celui-là n'est pas pour toi."
Quand il m'est arrivé par la suite de me trouver dans l'obligation de le vérifier, je n'ai guère eu à revenir sur le bien-fondé de cette abstention spontanée. D'autant plus difficile à expliquer qu'elle se détermine sur des indices aussi dérisoires que capricieux : le titre du livre tout autant que la photographie de l'auteur, le créneau que la critique lui assigne dans la production littéraire, le ton de cette critique, la personnalité de ses thuriféraires et de ses ennemis.
Tout volume mis dans le circuit semble être le lieu d'une émanation sui generis qui guide vers lui en aveugle, toutes antennes alertées, un certain public et en écarte un autre, par l'effet d'une étrange sexualité littéraire."
 
(Julien Gracq, Carnets du grand chemin, José Corti, 1992, éd. consultée 2003, pp. 253-254)
 
Les Carnets du grand chemin foisonnent de notes sur divers paysages, de France, mais aussi de pays étrangers. L'observation est très précise : Julien Gracq décrit les couleurs, les textures, et de nombreuses caractéristiques des lieux qu'il a traversés. Ses observations ne sont pas datées, comme immémoriales. Pourtant ce ne sont déjà plus les paysages que nous pourrions découvrir, profondément modifiés par l'évolution de l'urbanisation et de l'industrie.
Souvent très précise, la description renvoie fréquemment aux conditions de l'observation : perception subjective de l'auteur, conditions météorologiques… Le passage consacré à Bort-les-Orgues (p. 69) par exemple, surprend : les "orgues" de basalte n'y sont nullement décrites, mais c'est de la conscience du "lourd barrage gris et triangulaire", de son impact sur la petite ville, que l'auteur nous parle !

15:05 Écrit par kl loth dans au fil des lectures | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : Julien Gracq, littérature, temps, choix |