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jeudi, 22 avril 2010

Les fissures (François Bon)

"On a devant soi les interviews, la masse des témoignages, des photographies existant par milliers […]. On réécoute les musiques. Il faut décortiquer les carapaces, ouvrir les silences, pour approcher ce qui tiendrait de ce qui tous nous relie : les hasards et le destin, l'arbitraire où parfois on se jette sans savoir ni pourquoi on le fait, et qui rétrospectivement se révèle nous avoir révélé à nous même. Cette tâche, la littérature y a trouvé depuis toujours son essence ou son terrain, parce que ce qui va d'un être à un autre c'est le langage, et que sa fonction est d'ouvrir le langage, d'en faire diffracter les transparences, et qu'alors, renvoyant à celui qui l'énonce, elle laisse un instant à cru ou à nu ce vieux mystère humain, qui nous fait marcher avant.

[…]

Je n'y crois pas à l'écriture rock : mon instrument est aussi vieux que le leur, corde frottée ou pincée, ou la voix, ou la percussion, la langue n'a d'affinité qu'avec la sculpture.

[…]

Ce qu'elle peut et doit, la langue, c'est chercher l'homme.

[…]

Et comment on peut sur eux construire une vie […]. On n'entre dans un récit que lorsqu'il rouvre vos plaies personnelles. On n'écrit jamais sur les autres, on ne peut écrire que de soi.

[…]

Il n'y a pas de littérature rock. Il y a entrer, avec la littérature aussi, dans les principales secousses du monde, et chercher. Et tant pis si les fissures vous contaminent."

(François Bon, Rock'n roll. Un portrait de Led Zeppelin, Albin Michel, 2008, pp. 105-110)

C'est bien plus qu'un livre sur l'histoire de Led Zeppelin, François Bon y parle du travail de création, de la musique, de l'écriture… à travers une approche très concrète, une construction soignée du récit.

00:57 Écrit par kl loth dans au fil des lectures, rôle et place de l'art | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature, musique, rock, écriture, soi, monde |

mardi, 02 mars 2010

Tout Chos'e

Il y a quelques jours, la revue Chos'e n° 3 initiée par feu Henry Chiparlart, et désormais aux bons soins de Frasby et de Kitagawa Cristoforo, a été publiée en ligne sur le site Calameo (où les pages tournent à chaque clic).
On peut y découvrir 35 auteurs, dont Patrice Maltaverne (que j'ai rencontré à Metz), Fred Griot (vu à la Scène Poétique de la BM de Lyon) et des auteurs qui ne devraient pas être inconnus des lecteurs de Daily Life : Frasby
, Roger Lahu (qui vous est plus familier sous son pseudonyme, devinez…), Éric Dejaeger

Vous pourrez aussi y découvrir ma participation pages 60 et 61.

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00:10 Écrit par kl loth dans kl loth à l'œuvre | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : kl loth, chos'e, revue chos'e, art, littérature |

vendredi, 24 juillet 2009

Dragons…

Pensé, à propos de dragons, à cette phrase qui apparaît dans le film de Jean-Luc Godard, Allemagne année 90 neuf zéro (1991) : alle Drachen unseres Lebens… Sa puissance énigmatique m'est restée en mémoire.
Apparemment il s'agirait d'une citation de Rainer Maria Rilke : Vielleicht sind alle Drachen unseres Lebens die Prinzessinen, die nur darauf warten uns schön und mutig zu sehen.

En savez-vous plus ?

11:36 Écrit par kl loth dans au fil des lectures | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : gragon, princesse, jean-luc godard, rainer maria rilke, littérature, allemagne, vie |

samedi, 06 septembre 2008

Aléatoire et contrainte (une chaîne littéraire)

Sur la suggestion de Rosa, sur son blog attachant Cybermamies, une participation à une chaîne littéraire…
Le principe des chaînes ne m'enthousiasme pas, me semble un peu vain et je n'aime guère les contraintes… la vie n'en est pas avare, inutile  d'en rajouter.
Mais diffuser un extrait d'un bon livre, pourquoi pas ?

Quant à poursuivre la chaîne… à vous de voir ! Je ne désigne personne… si vous en avez envie, n'hésitez pas !

(Que veut dire "taguer" dans ce cas ? Désigner ?
Je connais ce mot dans le domaine du street art, ou en tant que synonyme de "mot clé"…
Damned, mon Petit Robert date de 1999 ! Il va falloir que je lui trouve un petit frère)

1- Citer la personne qui nous a "tagué" ;

2- Indiquer le règlement ;

3- Choisir un livre, l'ouvrir à la page 123 ;

4- Recopier à la 5ème ligne, les 5 lignes suivantes ;

5- Indiquer titre, auteur, éditeur, année d'édition ;

6- Taguer 4 personnes.

Pas si facile en fait… Le premier livre choisi n'offre pas un extrait convaincant, le deuxième (Fabienne Swiatly, Une femme allemande, Lyon, La Fosse aux Ours, 2008) se termine à la page 122 (si !), voilà donc le troisième livre, que j'ai déjà cité sur ce blog : Louis-René des Forêts, Ostinato, Gallimard, coll. L'Imaginaire, 2006 ; 1ère éd. Mercure de France, 1997.

(Le narrateur aperçoit au petit matin un écolier avec des larmes sur les joues)
"Tout ému de compassion, il fait halte et se retourne pour suivre du regard le petit fantôme s'éloigner cette fois au pas de course vers il ne sait que trop quel féroce devoir l'appelle à se rendre ponctuellement chaque jour de sa jeune vie". (p. 123)

À noter que le hasard m'a fait tomber sur une phrase dont la construction m'avait semblé étonnante, et qui de surcroît est de circonstance en cette rentrée 2008.

14:55 Écrit par kl loth dans au fil des lectures | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : livre, littérature, chaîne, hasard, aléatoire, contrainte |

lundi, 18 février 2008

Glissements progressifs vers… où ?

Décès cette nuit d'Alain Robbe-Grillet, que j'ai beaucoup lu.

15:21 Écrit par kl loth dans Time goes by… | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : décès, nécrologie, écriture, littérature, Robbe-Grillet |

dimanche, 27 janvier 2008

Survie (Julien Gracq)

"De la survie des ouvrages littéraires. L'œuvre d'un écrivain, passé l'ère classique, s'installe de moins en moins dans la durée comme un absolu, de plus en plus comme un étai temporaire et un garant, qu'on réactive occasionnellement pour les besoins de l'« idéologie dominante » ou de la technique littéraire du jour. Ce que nous appelons immortalité n'est le plus souvent qu'une continuité minimale d'existence en bibliothèque, capable d'être remobilisée par moments, pour cautionner la mode ou l'humeur littéraire du temps."
 
(Julien Gracq, Carnets du grand chemin, José Corti, 1992, éd. consultée 2003, p. 245)
 
Une citation qui entre en interaction avec cette autre, sur le temps que mettent les textes à nous rencontrer…
Eh oui, l'importance du contenu de certains livres est en butte à la rotation rapide des marchandises, que ce soit à l'étal, où dans les esprits !
 
Et à propos du choix que nous faisons de nos lectures, une autre citation aux métaphores savoureuses : celle de l'ange gardien, celle qui évoque les "phéromones" de l'attraction sexuelle : 
 
"L'ange gardien de nos lectures, si grand, si expéditif économiseur de notre temps. Celui qui, devant un compte rendu enthousiaste, un titre qu'on nous vante, un livre qu'on hésite à acheter, nous souffle à l'oreille, gentiment, décisivement, toujours obéi : "Non. Pas celui-là ! Laisse. Celui-là n'est pas de ton ressort. Celui-là n'est pas pour toi."
Quand il m'est arrivé par la suite de me trouver dans l'obligation de le vérifier, je n'ai guère eu à revenir sur le bien-fondé de cette abstention spontanée. D'autant plus difficile à expliquer qu'elle se détermine sur des indices aussi dérisoires que capricieux : le titre du livre tout autant que la photographie de l'auteur, le créneau que la critique lui assigne dans la production littéraire, le ton de cette critique, la personnalité de ses thuriféraires et de ses ennemis.
Tout volume mis dans le circuit semble être le lieu d'une émanation sui generis qui guide vers lui en aveugle, toutes antennes alertées, un certain public et en écarte un autre, par l'effet d'une étrange sexualité littéraire."
 
(Julien Gracq, Carnets du grand chemin, José Corti, 1992, éd. consultée 2003, pp. 253-254)
 
Les Carnets du grand chemin foisonnent de notes sur divers paysages, de France, mais aussi de pays étrangers. L'observation est très précise : Julien Gracq décrit les couleurs, les textures, et de nombreuses caractéristiques des lieux qu'il a traversés. Ses observations ne sont pas datées, comme immémoriales. Pourtant ce ne sont déjà plus les paysages que nous pourrions découvrir, profondément modifiés par l'évolution de l'urbanisation et de l'industrie.
Souvent très précise, la description renvoie fréquemment aux conditions de l'observation : perception subjective de l'auteur, conditions météorologiques… Le passage consacré à Bort-les-Orgues (p. 69) par exemple, surprend : les "orgues" de basalte n'y sont nullement décrites, mais c'est de la conscience du "lourd barrage gris et triangulaire", de son impact sur la petite ville, que l'auteur nous parle !

15:05 Écrit par kl loth dans au fil des lectures | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : Julien Gracq, littérature, temps, choix |

lundi, 14 janvier 2008

"des cicatrices plus tard"

"La littérature demande du temps, toujours, beaucoup plus que celui que la presse ou même l'édition lui imposent. Temps de lecture et d'écriture sont infinis, étirés, soumis à d'autres lois.
[…] Nous croyons lire de la littérature quand c'est la littérature qui nous lit. Et elle finit toujours par nous rattraper, au moment même où on s'y attend le moins — parce qu'elle est toujours visionnaire. Quinze jours avant sa publication ? Des mois, des années, des cicatrices plus tard."


(Nelly Kapriélan, "Course à l'échalote", Les Inrockuptibles n° 623, du 6 au 12 novembre 2007, p. 83)

19:35 Écrit par kl loth dans au fil des lectures | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : écriture, littérature, temps |

dimanche, 23 décembre 2007

Julien Gracq

Une bien mauvaise nouvelle pour commencer cette journée d'hiver qui s'annonce morose : la disparition de l'écrivain Julien Gracq le 22 décembre, à 97 ans.
Parmi son œuvre, La Forme d'une ville, dont j'ai parlé ici cet automne.
Coïncidence : hier, j'ai eu par deux fois ses livres en main…

À lire : l'article que lui consacre François Bon, après lui avoir rendu visite en 2005.


L'écrivain Julien Gracq est mort
LEMONDE.FR | 23.12.07

© Le Monde.fr

12:25 Écrit par kl loth dans Time goes by… | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : Julien Gracq, nécrologie, littérature, décès, écriture |

mardi, 04 décembre 2007

Paris, musée du XXIe siècle (Thomas Clerc)

Tout mode de déplacement a son érotique propre (voiture vite, vélo fluide, marche lente), mais marcher en flânant a quelque chose d'autoréférentiel, le plaisir y vaut pour le plaisir. La déambulation gratuite s'enrichit de la rencontre de hasard, qui ajoute à chaque passage un embryon désirant. (p. 114)

Parmi les ouvrages exposés sur les tables en cette rentrée littéraire 2007, il en est un pour lequel mon bras s'est fébrilement tendu : Thomas Clerc, Paris, musée du XXIe siècle. Le dixième arrondissement, tant le titre évoque de bonnes références : Walter Benjamin et son "Paris, capitale du XIXe siècle", mais aussi Tentative d'épuisement d'un lieu parisien de Georges Perec.

Le projet de Th. Clerc est de grande ampleur : il ne s'agit pas seulement de décrire un lieu parisien, mais Paris tout entier, arrondissement par arrondissement, à commencer par le dixième où réside cet auteur, et qui fait l'objet de ce premier ouvrage.

La méthode employée est celle des notes prises au fil de la promenade(1). L'auteur porte attention aux détails, il se passionne pour l'infra-mince(2), fait la description des circonstances, petits faits contingents et micro-traces du présent tels que les incidents, les poussières, les noms propres(3), enregistre les changements(3) et les commente…
Rien n'est statique : l'auteur marche à des rythmes divers (et doit parfois affronter les réactions des personnes croisées), la ville est saisie dans ses mutations en cours, et le projet tout entier prendra son sens et son format progressivement(4).
Les rues se succèdent par ordre alphabétique sans que jamais l'on ne se lasse. Seul petit regret : les descriptions ne me semblent pas assez poussées… Peut être est-ce dû à l'incompétence en matière de description (relative) qu'avoue Th. Clerc dans une anecdote(5), ce qui laisse la voie libre à l'expression de ses diverses opinions, parfois trop éloignées de la stricte observation. Mais peut être est-ce simplement le risque inhérent à la promenade : l'esprit se laisse divaguer !

(1) p. 62
(2) p. 107
(3) p. 163
(4) p. 207
(5) p. 189

Thomas Clerc, Paris, musée du XXIe siècle. Le dixième arrondissement, éd. Gallimard, coll. L'Arbalète, 2007

Cf. aussi la critique de ce livre par Pierre Assouline.

23:10 Écrit par kl loth dans au fil des lectures | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : Thomas Clerc, Paris, littérature, art, ville, promenade |

lundi, 08 octobre 2007

La forme d'une ville (Julien Gracq)

"[Nantes] C'est son image agissante, bien plutôt, qui a tendance à me cerner : d'une manière générale, et de quelque époque de ma vie qu'il s'agisse, je ne me vois jamais en souvenir, au fond de la perspective dessinée par le recul des années, que plongé corps et âme dans un élément beaucoup plus concret, beaucoup plus stimulant et contraignant à la fois, que celui auquel on applique d'habitude le nom de milieu. J'essaie de prendre quelque distance avec ce complexe de rues et de places dans lequel ma vie s'est trouvée coulée à son époque la plus sensible : entreprise aléatoire, car ce qui a touché de près nos commencements ne cesse jamais tout à fait, même dans l'absence, de participer de loin, si peu que ce soit, à nos mutations."
(Julien Gracq, La Forme d'une ville, éd José Corti, 2006, p. 199, première éd. 1985)

Une approche très détaillée, fouillée de la ville de Nantes par Julien Gracq, qui permet de comprendre le lien entre la perception d'une ville, la vie qu'on y a menée, et son emprise dans l'imaginaire.
L'écriture est précise, on perçoit l'amour de la langue dans toute sa richesse, un amour vivant qui ne craint pas les emprunts à l'anglais.

21:42 Écrit par kl loth dans au fil des lectures | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : Julien Gracq, ville, littérature, Nantes, urbain |

mercredi, 26 septembre 2007

Yasmina Réza prend des notes

"- Tu vis au jour le jour ?
- Oui. Je pense à ce que j'ai à faire chaque jour. C'est bien suffisant.
Silence. Il regarde ses mains. Puis il ajoute :
- Pourquoi penser ?
- C'est une vraie question. Qui vaut pour beaucoup de choses.
- Oui. Pour beaucoup de choses."

(Yasmina Réza, L'aube le soir ou la nuit, Flammarion, 2007, p. 105)

Yasmina Réza a pris pendant des mois des notes sur le candidat à la présidence Nicolas Sarkozy, en s'efforçant de suivre son rythme trépidant.
Peu de temps après, même pas trois mois, elle en publie une sélection, un agencement.
La lecture du livre déçoit, et laisse une impression de superficialité.
Si la précipitation à sortir le livre dans des délais très brefs en est partiellement la cause (remettre cent fois sur le métier ?), il faut aussi reconnaître que l'inconsistance caractérise le candidat Sarkozy tel qu'il se révèle au fil des pages.
Certes le lecteur peut opérer une approche critique s'il dispose de quelques connaissances psychologiques… Sinon le portrait dressé par Mme Réza restera ambigu, laissant prise à la fascination exercée par le candidat, malgré sa vacuité, son mépris et son agitation.
D'autres documents, comme l'analyse de discours par Gérard Miller, ou encore une récente analyse par l'équipe d'Arrêts sur Images, montrent ce que peut mettre au jour une approche critique poussée.
Ce n'est pas le cas dans ce livre, c'est dommage…

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00:05 Écrit par kl loth dans au fil des lectures, politique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : Yasmina Réza, Sarkozy, politique, pouvoir, littérature, livre |

samedi, 22 septembre 2007

Habiter une ville (Julien Gracq)

Habiter une ville, c'est y tisser par ses allées et venues journalières un lacis de parcours très généralement articulés autour de quelques axes directeurs. Si on laisse de côté les déplacements liés au rythme du travail, les mouvements d'aller et retour qui mènent de la périphérie au centre, puis du centre à la périphérie, il est clair que le fil d'Ariane, idéalement déroulé derrière lui par le vrai citadin, prend dans ses circonvolutions le caractère d'un pelotonnement irrégulier. Tout un complexe central de rues et de places se trouve pris dans un réseau d'allées et venues aux mailles serrées ; les pérégrinations excentriques, les pointes poussées hors de ce périmètre familièrement hanté sont relativement peu fréquentes. Il n'existe nulle coincidence entre le plan d'une ville dont nous consultons le dépliant et l'image mentale qui surgit en nous, à l'appel de son nom, du sédiment déposé dans la mémoire par nos vagabondages quotidiens.
(Julien Gracq, La Forme d'une ville, José Corti, 3° édition 2006, pp. 2-3 (1ère édition 1985))

01:05 Écrit par kl loth dans au fil des lectures | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : ville, Julien Gracq, parcours, déplacements, mémoire, littérature |

mercredi, 15 août 2007

12.000 livres vandalisés !

Plus gras et bien plus grave encore que le baiser de Rindy Sam sur une toile de Cy Twombly, un mélange d'huile de vidange et de gasoil a été répandu durant la nuit du 8 au 9 août, sur les 12.000 ouvrages de la librairie organisée en marge de la manifestation "La nuit sexuelle" à l'abbaye de Lagrasse (côté laïc).
La thème de cette manifestation (qui comportait ateliers de philosophie, lectures, conférences et un cycle de cinéma documentaire) s'articulait autour de la parution prochaine du livre de Pascal Quignard, et en reprenait le nom. Rappelons que cet auteur mène avec finesse un travail d'une grande érudition.
Une enquête est en cours… on ne sait pas s'il s'agit d'intégristes catholiques. Toujours est-il que le produit utilisé pour le saccage montre bien la volonté qu'une chape noire s'abatte sur la vie de l'esprit et sur toute évocation de la sexualité.

Les médias n'attirent guère l'attention sur ce vandalisme particulièrement scandaleux et significatif d'une regression des libertés indivuelles et d'expression.
Hormis le site des éditions Verdier, ce sont surtout des blogs qui en parlent, notamment La République des Livres de Pierre Assouline.
Et un article tardif dans Libération

23:14 Écrit par kl loth dans zeitgeist | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : vandalisme, abbaye de Lagrasse, livres, littérature, sexualité, nuit sexuelle, Pascal Quignard |

lundi, 13 août 2007

Le petit carnet de Jeanne de Berg

"Il serait temps de mettre un peu d'ordre, enfin, dans mes objets rituels et papiers divers, écheveau de souvenirs, éclats de mémoire amassés au fil des ans."
C'est ainsi que débute Le petit carnet perdu de Jeanne de Berg (pseudonyme de Catherine Robbe-Grillet), paru aux éditions Fayard en 2007. Et ce petit carnet, justement, est l'occasion d'une mise en forme tout-à-fait intéressante de notes (cf. la citation sur les carnets, que j'ai recopiée il y a quelque temps)

Catherine Robbe-Grillet a tenu pendant plusieurs années un journal, publié en 2004 (Jeune mariée. Journal, 1957-1962, éditions Fayard)… Mais elle n'a pu poursuivre, faute de temps pour en assurer la rédaction régulière.
Depuis elle continue à prendre des notes dans de minuscules agendas trimestriels. Et c'est un incident concernant l'un de ces carnets qui sera l'élément déclencheur du récit.
Ce carnet, en effet, a été perdu, peut être même subtilisé, puis restitué par une tierce personne.
Le contenu en était bipartite, puisque outre la vie quotidienne de Catherine Robbe-Grillet, il contenait des notes détaillées sur sa vie de dominatrice SM (Jeanne de Berg). Restitué, il comporte désormais des annotations rageuses, à caractère injurieux, de l'une des personnes dans les mains desquelles il a circulé.
Le petit carnet perdu reprend en partie le contenu du carnet retrouvé ainsi que certaines des annotations injurieuses, mais Jeanne de Berg l'étoffe en y développant son expérience de "maîtresse", esthète et sensuelle, et précise sa spécificité par rapport à d'autres approches du sado-masochisme.
(parmi les différentes informations, le constat d'une perte d'énergie à s'occuper de l'autre… me semble intéressant à mettre en parallèle avec d'autres activités, comme… l'enseignement par exemple !)
Le livre s'enrichit d'autres strates : récit du déroulement d'une "cérémonie", doublé par le compte-rendu d'un "chroniqueur", larges extraits du courrier et du cahier de notes d'un "soumis"… La structuration en est finalement complexe : au moins sept niveaux y sont agencés !

(Quelques pages des petits carnets sont reproduites dans l'article de Valérie Marin LaMeslée : "Le carnet perdu de Catherine Robbe-Grillet", Le Magazine littéraire, pp. 96-97. Ils sont aujourd'hui conservés à l'IMEC, Institut mémoires de l'édition contemporaine)

01:15 Écrit par kl loth dans au fil des lectures | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : jeanne de berg, carnet, littérature, sm |

jeudi, 12 juillet 2007

"Du théâtre pour enfants"

Interviewé hier soir 11 juillet par Annette Gerlach (à l'occasion de la retransmission en direct sur Arte de son spectacle L'Acte inconnu), Valère Novarina souhaite que le spectateur pense qu'il s'agit "peut être aussi du théâtre pour enfants".
Justement… Valère Novarina avait été pour moi une source importante d'inspiration, pour des ateliers que j'avais animés en 1983-84 (écriture et arts plastiques), dans le cadre d'un projet intitulé L'Empreinte des mots.

Voilà ce que j'écrivais à ce sujet :

UNE EXPÉRIENCE D'« ACCUMULATIONS POÉTIQUES »

Qu'appelle-t-on "accumulation" ? II s'agit de listes quasi interminables de termes ou de syntagmes de même nature ou de même fonction, au fort pouvoir poétique. Voici quelques exemples :

Le théâtre est vide. Entre Adam.
[…]
Il sort. Entrent l'Homme de Pontalambin, l'Homme de Lambi, Jean Membret, Sapolin, l'Homme de Saporléolimasse, Bandru, l'Homme de Pontagre, Bomberre, l'Homme de l'Hostie, Bandre, le Jeune de Bombière, les Hommes de l'Équipe Logique, Landrube, Sapor Landret, Pénétral de Science, l'Homme de Pontagre, le Jeune de Science, l'Homme de Tuyau, la Lanceur Semnique, le Docteur Mâchefer, le Docteur Culemane, Formulateur Andret, Jean Trou Verbier, Saint Métronon, Jean Trou qui Verbe, Saint Blanc Scarpie, l'Homme de Maclumerde, Docteur Légiste, l'Enfant Capitaine, le Doc de Bioge, Ominibus, Jean Ravagine, Saint Sabonet, Saint Écusson, Autrui, I'Homme de Stalingre, l'Ontogène, l'Homme de Bombe, Sapoléon. […]

(Valère Novarina : Le Drame de la Vie
, éd. POL, 1984)

Limbes ? Las ?
Il repose. Il a voyagé.
Avec ? Sinbad le Marin et Tinbad le Tarin et Jinbad le Jarin et Whinbad le Wharin et Ninbad le Narin et Finbad le Farin et Binbad le Barin et Pinbad le Parin et Minbad le Malin et Hinbad le Harin et Rinbad le Rabbin et Dinbad le Karin et Vinbad le Quarin et Linbad le Yarin et Xinbad le Phtarin.
(James Joyce, Ulysse)

Les enfants (il s'agit d'un CE 1) ayant beaucoup aimé ces textes, nous avons écrit les nôtres, fabriqué une multitude de mots-valises à partir de noms de métiers (tout autre idée est à essayer !), et conservé les meilleurs "hybrides" pour les grouper en un seul texte. Ainsi le travail de chaque enfant est intégré à un ensemble. Le résultat fut tellement stimulant que les enfants ont décidé d'en faire le point de départ de toute une histoire. La scène se déroulerait dans un pays imaginaire : la Bretalie. Ces individus arriveraient de tous horizons pour fêter l'anniversaire du Roi. La fête comporterait de nouvelles péripéties, ce qui nous a permis d'intégrer dans le récit des travaux plus anciens, notamment les questions/réponses "surréalistes", les recettes de cuisine (fausses), la multiplication "OuLiPo". Le "démarrage" de cette histoire en cours d'année, la découverte que la plupart des travaux ponctuels pouvaient s'intégrer à un ensemble ont été particulièrement stimulants pour la classe, qui s'est plus que jamais impliquée dans la réalisation du livre, beaucoup plus que si nous avions simplement collecté les poèmes en un recueil (il est plus facile de faire un constat : "voila nos matériaux, si on les organisait… tiens, cela pourtait faire une histoire, un livre…", que partir de zéro ). C'était le déclic… La prise de conscience de quelque chose d'extraordinaire…

Cette construction de personnages par mots-valises a eu un retentissement important sur les dessins réalisés par les enfants pour le livre. Ainsi le "fleurgiste", à la fois fleuriste et garagiste, est un personnage dont les deux moitiés (gauche et droite) ont des fonctions et des costumes différents. Le "charlanger" (charcutier/boulanger), quant à lui, est carrément composé de deux êtres accolés tels deux frères siamois. Et puisque les habitants de Bretalie ne sont pas comme nous autres terriens, pourquoi pas des personnages à trois jambes et six bras ? ainsi ce livre fait-il preuve d'une créativité franchement tératologique (sans rien d'horrible). Cela n'est pas étonnant car de tous temps les "monstres" (que ce soit monstres d'images, ou mystifications empaillées) ont été le plus souvent des composites d'êtres réels (cf. à ce sujet le livre de Peter Dance, Faux Animaux, aux editions Pierre Horay) ; et laisse sous-entendre que les mots-valises sont des monstres lexicaux, et que les enfants s'en sont aperçus (malheureusement l'arrêt de l'Empreinte des Mots n'a pas permis de poursuivre l'expérience).

J'insisterai sur la commodité d'emploi de cette forme très simple qu'est l'« accumulation », en tant que travail collectif ; sur sa force esthétique, et sa faculté de s'intégrer à un récit, voire de l'engendrer.

(extrait de Catherine Loth et al., "Le travail de la poésie",  L'Empreinte des Mots, éditions MEM/Arte Facts, Lyon, 1985, pp. 39-40)

Cf. l'intégralité de mes contributions à L'Empreinte des Mots sur kl-loth.com

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(le "fleurgiste")

17:00 Écrit par kl loth dans kl loth à l'œuvre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : novarina, ateliers d'écriture, littérature, poésie, animations scolaires |